Je pars - Seja

Ce soir, je pars.

Voilà, c’est décidé. Ce soir, sur l’autoroute de la maison, je prends pas la sortie. Je continue tout droit, toujours tout droit.

Je suis pas vraiment calé en géographie. Et j’ai pas voulu consulter de carte. Non, ce soir, je pars et je sais pas où je vais. Peut-être que je vais rouler toute la nuit. Peut-être que l’essence va se terminer avant.

En tout cas, ce soir, je pars.

Et demain, ils vont bien s’étonner au bureau de pas me voir arriver. Il est malade ? ils vont se demander. Quelqu’un a eu de ses nouvelles ? Tout le monde va hausser les épaules. Parce que je l’ai dit à personne. Est-ce qu’ils vont lancer des avis de recherche ? Mettre les flics sur le coup ?

Ce soir, je pars avec le strict minimum. Même moins que ça. J’ai pas fait de sac, j’ai pas emmené de brosse à dents. Je pars avec juste ce que j’ai sur le dos. Je me débrouillerai bien.

J’ai pas non plus prévenu mes voisins. Alors, les plantes vertes sont crever. Pas grave. A part les plantes, j’ai rien qui me retient. Pas de copine, pas de chat. Juste un ficus et trois cactus. Peut-être que les cactus vont s’adapter.

Ce soir, je pars et bordel, ça fait du bien de se le répéter. Ce soir, je pars, je pars, je pars.

Ce soir, je pars. Et demain, je sais pas ce que je ferai. Je sais pas où je serai. Mais je serai pas dans les embouteillages ni à la machine à café. Je serai pas à me battre avec la paperasse ni le téléphone. Ce soir, je pars.

Et quand l’autoroute se terminera, je prendrai des petites routes. Je m’arrêterai dans le premier village venu. Je prendrai un café sur une terrasse. Je regarderai les gens que je connais pas vivre leur vie. Peut-être qu’ils me regarderont, peut-être qu’ils vont se demander qui je suis et ce que je fous là.

Au bout d’un moment, je vais m’arrêter plus longtemps. Je vais me trouver un boulot, un appart. Je vais bosser un mois ou deux. Pas plus. Puis, je vais partir. Sans rien dire, sans réfléchir. Je vais partir sur la route et je vais pas me retourner.

Ce soir, je pars. C’est déjà cinq heures, le soleil décline. C’est l’heure.

Je me lève, je ramasse mes affaires. Les gens autour de moi lèvent même le nez. Ils s’en foutent. Peut-être que s’ils savaient, ils auraient réagi autrement. J’en sais rien. Je fais quelques pas vers la sortie. Je les ai jamais comptés avant. Il y en a dix-sept.

Je pousse la porte.

Ça y est.

Je suis parti.